vendredi 21 août 2009

B2. Sur les GHATS de VARANASI (I)




Sur les GHATS

de VARANASI (I)




Une sensation de liberté vous emporte sur les ghats de Varanasi.
Le Gange s'étend dans les grandes largeurs en une vaste courbure.
A l'orient, la rive opposée est curieusement restée sauvage.
Cela surprend, vu des ghats de la rive occidentale, où l'on utilise la moindre parcelle de terrain pour les temples. les embarcadères ou autres plateformes.


Pourtant, ma première demie journée est assez rude.
Aux approches du ghat principal, le harcèlement est massif, tous azimuts.
Douze conducteurs veulent me transbahuter dans leur rickshaw...
Ensuite, sur le ghat, les "Hello ! Boat, sir ?" prennent le relai.
Quinze marins d'eau douce veulent m'embarquer dans leur raffiot pour touristes. Cela rapporte beaucoup plus que la pêche, et c'est moins fatiguant.

Le racolage a d'autres causes.
On me propose un rasage ("Shaving ! Shaving !"), un massage, une chambre dans un hôtel paradisiaque...
Une poignée de mendiants me prend en remorque dans le filet de leurs espoirs...
Bienvenue à Bénarès !


Je fuis vers le nord le long du Gange, ou la densite des parasites diminue.
Peine perdue.
Deux sadhus tres photogeniques cherchent lourdement le contact.
L`un me repete dix fois :"Good morning !"
Esperant une suite tres rentable a cette superbe entree en matiere.
Mais la suite ne vient pas. J`ai oublie le don de la parole...
Mon ascete du dimanche, deconcerte, me laisse errer en silence.


Au Manikarnika ghat, on brule les cadavres sur des buchers de cremation.
Un garcon aboie des ordres en series : interdit de photographier ! Je dois le prendre pour guide ! Je ne peux rester ici. Je dois bouger !
Gardant patience, je m`arrete, commande un the a une echoppe.
Le garcon continue a me pomper l`air !


Je prends alors quatre photos pour illustrer un article sur les besoins en bois de Benares.
Le garcon s`enerve, menace d`appeler sa famille par telephone...
Cette fois, je craque. Je le traite de "stupid boy !".
Il peut appeler qui il veut, peu m`importe !


Le garcon finit par integrer mon attitude. Il quitte les lieux.
Je m`assieds pour boire tranquillement mon the.
Douce illusion !
Cela dure moins de deux minutes...


Une etrangere d`origine indienne me reproche d`avoir fait des photos !
Sans doute Etatsunienne, ou Canadienne anglophone...
Son origine indienne l`autorise, croit-elle, a me faire la morale.
J`explique que j`ai photographie le stock de bois, pour un texte que je veux ecrire.
Je ne photographie pas un bucher de cremation. Le garcon s`est enerve pour rien. Quel mal y-a-t il a photographier du bois ? Je n`ai manque de respect a personne.


-"But you insult him ! You said Stupid boy !"
-"Je n`aime pas que l`on me donne des ordres sur ce ton. Suis-je un chien ? Et se prend-il pour un policier ?"
-"Because you respect and understand only if it is a policeman ?"
Cette femme continue a moraliser : je dois demander la permission aux familles, etc.


Une enseignante, j`en suis persuade.
Qui me prend pour un de ses eleves.
La tete farcie d`idees politiquement correctes. Sans l`ombre d`une idee personnelle...
Elle continue son prechi-precha, un ron-ron tres bien rode.
J`ai envie de verifier mes hypotheses... par des questions ciblees.
Sans doute est ce mon sourire malicieux qui me trahit.
Cela l`alerte, elle s`arrete net. Et file a l`anglaise pour aller moraliser ailleurs.


Je retrouve la solitude.
Un luxe inappreciable dans ce coin de corporatisme exacerbe.
Mon the termine, l`appareil photo au fond du sac, je contourne les buchers de cremation par l`interieur.
Les odeurs sont fortes autour du Manikarnika ghat...


Je m`assieds dans un kiosque un peu plus loin.
En compagnie de chiens et de chevres, fourres sous les sieges.
Heureusement, trois vaches deambulent a deux pas, mais a l`exterieur...
Un sadhu shivaite noir s`assied.
Consciencieusement, il se barbouille le corps de cendres grises.
Enfin un ascete qui n`est pas d`operette, chasseur de touristes.


Le kiosque est bien situe, entre deux buchers de cremation.
C`est un excellent poste d`observation sur les quais et le Gange.
Des barques croulant sous les troncs d`arbres sont dechargees sur le quai.
Chaque homme porte un tronc sur sa tete.
Partout, le bois est stocke en gros tas.
Dans l`autre sens, on entasse sur le quai la cendre des buchers.


Soudain, j`entends une phrase chantee en choeur.
En contrebas, on porte un cadavre sur un brancard, avec une vingtaine de personnes comme escorte.
Le corps est a moitie immerge dans le Gange.
On le recouvre de tissus rouge et dore, de guirlandes.
Il est depose plus haut sur le quai.


Des chants annoncent un second cortege.
Le corps est maintenu beaucoup plus longtemps dans l`eau.
De l`encens est brulee.
Le cadavre est recouvert d`une pellicule doree, mince comme une couverture de survie.


Autour du premier corps, les photos familiales de groupe se succedent.
Encore une photo pour se souvenir des porteurs du brancard.
Onze hommes se serrent difficilement...
Ensuite le cortege s`ebranle vers un bucher de cremation.
Belement d`une chevrette comme accompagnement.
Une cloche sonne un coup.
Une autre cloche lui repond, dix secondes plus tard.


Comme bruit de fond, les masses frappent des coins, qui fracturent troncs et souches.
Odeurs d`encens, par bouffees.
De temps en temps, de la suie se depose sur mes vetements, sur ma montre...


Lionel Bonhouvrier.

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